Les films de Jean-Louis
Lettre d’amour à Toutankhamon
Scène : Lettre d’amour à Toutankhamon
Avec Oriane Landais
voix : Adèle Chupin
musique : Marco Cervalho
Jeune Roi Toutankhamon,
Hier soir, j’ai vu au musée cette petite colonne d’ivoire que tu as peinte toi même en bleu, rose et jaune.
Pour ce petit objet futile et sans utilité dans notre existence rustre, pour cette simple petite colonne coloriée par tes mains fines, telles des feuilles d’automne, j’aurais donné les dix plus belles années de ma vie, elle aussi futile et sans utilité.
Dix années d’amour et de foi. Près de cette petite colonne j’ai vu aussi, jeune Roi Toutankhamon, j’ai vu hier soir, un de ces soirs clairs de ton Egypte, j’ai vu de mes yeux ton cœur enfermé dans un coffret en or.
Pour ce minuscule cœur de poussière, pour ce cœur enfermé dans un coffret d’or et d’émail, j’aurais donné mon cœur à moi, encore jeune et tiède, encore pur.
Parce que hier soir, Roi plein de mort, mon cœur a battu pour toi, plein de vie, et ma vie s’est mêlée à ta mort, et la faite fondre me semblait-il.
Oui, elle l’a faite fondre cette mort dure et collée à tes os, avec la chaleur de mon haleine, avec le sang de mon rêve, et l’amour et la mort, versés l’un dans l’autre, n’en finissaient pas de m’enivrer de mort et d’amour.
Hier soir, un soir d’Egypte constellé d’ibis blancs, j’ai aimé tes yeux intouchables à travers le cristal.
Un soir il y a longtemps, un soir de la même Egypte où les oiseaux éparpillaient la lumière, tes yeux étaient immenses et fendus jusqu’à tes tempes frémissantes.
Et ce soir-là, un soir semblable à celui d’hier soir, tes yeux s’ouvraient et se fermaient sur la terre comme deux lotus mystérieux.
Des yeux rougeoyants, de la couleur du couchant et des eaux du Nil après les pluies de Septembre.
Tes yeux étaient maîtres d’un empire, maître de villes fleuries, de gigantesques pierres millénaires, de champs semés jusqu’à l’horizon, d’armées victorieuses au-delà des sables de Nubie, ces archers habiles, ces auriges altiers, gravés sur les hiéroglyphes et les monolithes dans ce mouvement immobile à jamais.
Dulce Maria Loynaz