Le cri dans le hangar

Le film sans fin

Avec le Lycée des 3 rivières : Chloé Aufort, Clément Diehl, Noah Fraysse, Aurélie Lempereur, Annwen Moissard, Sandra Tougnaud - Les enseignants : Philippe De Simiane et Manon Judic.

Bernard Chanteux
Géraldine Joigneault et La Compagnie des 5 Mondes

Musique : En​[​red​]​dados (entre córdoba y mataderos) - (2020)
Ana Foutel et Gonzalo Biffarella (Argentine)

L’idée première dans cette collaboration avec les élèves et encadrants du lycée est d’imaginer un dispositif pédagogique cinéma. Les enjeux sont d’initier à l’écriture filmique autant fictionnelle que documentaire, en associant la pratique, la théorie et la rencontre avec le territoire nazairien. Sur une histoire imaginée par les élèves, le projet combine deux visions, deux interprétations, deux films, celui des lycéens et celui du film sans fin.

 

Le cri se déchire, Sandra est sortie d’elle-même, explosée en puzzle, elle a tout perdu sauf son cri, ce que René Char appelait "l’énergie disloquante ». Ici on pourrait ajouter l’énergie disloquante des forces adverses.

Chez Charles Baudelaire, la douleur se présente comme un phénomène se situant entre le corps et l’âme. Ici toute une fine équipe est présente pour soutenir Sandra-Biondetta savamment maquillée sous la pluie, le vent et la brume.

Dans le cadre clair-obscur d’un parking souterrain la fine silhouette se déploie dans un pur apparaître, celui d’un site opératoire graphite et filmique. Ici les angles sont nets et la lumière taillée au scalpel.

Le vieux marin bougon dans ses rêves enchevêtrés et son obscure mémoire, un léger pathos voguant dans son esprit, il prête de bon gré sa voix boucanée au projet de cette jeunesse. Deux vies très éloignées qui se rapprochent pour un temps dans un bistrot du port et autour d’une légende qui les concerne bizarrement tous les deux.

L’estuaire, la pluie, l‘immense portique des chantiers sous la brume ne sont pas un simple décor mais une autre nuit, un agencement qui organise sa propre humeur, son propre et puissant souffle indifférent au malheur de la frêle Sandra-Biondetta.

Exploration des échos lointains cachés, oubliés, retrouvés, souvenirs de fantômes ou fantômes de souvenirs et le bruit de la pluie sur le béton se rapproche du bruit des mots qui tombent doucement.

Toucher au cœur, toucher au vrai avec de la musique et des images par l’intime accentué de deux êtres que tout éloigne. Voici deux points de départ pour une fiction élaborée à plusieurs sur deux générations et des centres d’intérêt apparemment éloignés au départ.

Le projet collectif se confirme par la nécessité de trouver la formule la plus juste à l’endroit de l’expérimentation sur le lieu et en temps réel. Peter Szondi cite souvent une belle phrase de Friedrich Schleiermacher : « Je ne comprends rien si je n’en saisis pas la nécessité et ne peux la reconstruire ».

Dans un tel film, l’état d’esprit, l’âme peut-être, peut trouver une expression poétique parce qu’elle a en propre la rigueur de la syntaxe : elle peut et doit être régie par les conditions même périlleuses instaurées par celle-ci dans son mode artistique.

Le Cri de Munch sous une pluie de Bill Viola

Biondetta est sortie d’une mystérieuse malle de marine hors d’âge, échouée sur une grève de coquillages, sous un liquidambar dénudé par un jour d’épais brouillard.

Mi zombie mi démone elle se déplace comme une sombre gazelle qui aurait bu de l’alcool fort, et, dans son allure macabre, conserve néanmoins une certaine grâce.
Elle déambule apparemment sans but et se retrouve dans un grand parking abandonné éventré en son centre qui déverse des tonnes de pluie.
Et c’est ici, les bras tendus et levant son visage halluciné vers le ciel, qu’elle crie de toute son âme déchirée et déchirante.
Non loin de là, Quentin le Cam, premier matelot du Louarn puis quartier maître tel Eumolpos, premier hiérophante, à la voix et au visage charismatiques. Un vieux marin donc, buriné cloué à son bar intemporel de l’arrière port où il vient chaque jour, embroussaillé dans sa mélancolie rugueuse, raconte à qui veut l’entendre sa chronique des disparus dont cette curieuse légende de l’esclave Biondetta.

Et, curieusement, dans un coin sombre du café au milieu de souvenirs épars, on découvre une photo ancienne d’un couple paisible : la jeune femme métisse est à coup sûr notre Biondetta !

« L’œuvre d’art ne jaillit pas tant du miracle d’une imagination créatrice que de la puissance de jugement, qui choisit, ordonne et trie les éléments dont cette œuvre est formée. » Nietzsche

Jean-Louis Vincendeau

Texte pour une voix off, écrit par les élèves :

Voix OFF – Atelier Audiovisuel


L’histoire raconte qu’une jeune fille, nommée Biondetta.
Une ancienne esclave qui, à l’encontre d’un mariage, rencontra  un jeune marin sur les quais de Saint-Nazaire
Sous leurs airs, tous deux se plurent et s’installèrent en Guadeloupe à Basse-Terre.

Malheureusement un drame éclata le jour de leur union,
La réhabilitation honteuse de cette loi esclavagiste repris sous les nombreuses contestations.
Ces partisans les plus fervents pénétrèrent dans l’habitation.
Ils les attachèrent à un arbre appelé « Fromager »,
Et les fouettèrent jusqu’à les faire saigner
Pendu, son bien aimé s’en est allé

Ces bourreaux la trouvant trop menue pour les champs,
La vendirent au plus offrant.

Tentant de s’enfuir du bateau négrier la transportant
Elle sombra malheureusement au fond de l’océan.
Qui comme héritage,
La condamna dans cette prison de bois.

Au fil des ans,
Rempli de tourments,
Elle devint une créature ne venant pas d’ici,
Rempli de souvenirs

Après ces années, enfermée dans cette malle hors d’âge.
Elle se serait échouée jusqu’à la Terre qui a vu naître son amour
Sous un liquidambar dénudé par un jour d’épais brouillard.

Enfin sortie de sa cage, elle commence à se déplacer telle une ombre errante.
Qui dans son allure macabre,
Conserve néanmoins une certaine grâce.

Déambulant apparemment sans but,
On l’apercevrait sur les rives,
Quand, le plus souvent, le temps nous offre sa pluie.

L’on raconte même, qu’une personne au loin l’aurait aperçu,
Les bras tendus,
Son visage levé et halluciné par le ciel.
Poussant un cri puissant et déchirant.
Défoulant sa haine et ses regrets,
Tourmentée par ses peines

Je pense que l’on peut encore l’apercevoir, mais, faut-il encore savoir…
Quand nous fera-t-elle entendre sa voix ?