La poésie n’est toujours pas une solution
Film et performance
Justin Delareux, Ollivier Moreels, Romaric Sobac au Service aménagement de la délégation Saint-Nazaire, au Pôle de création partagée, au PCP pilote, aux ateliers du château d’eau...le 18 février 2025 à Saint-Nazaire.
Diffusion 12 au 31 mars 2025 Université de Corse Pasquale Paoli, International Experimental Poetry Festival.
Justin Delareux n’est pas Corse. Ollivier Moreels est plus ou moins belge.
La poèsie serait née au MANS, comme ma soeur.
Le Mans se situe entre la Corse et la Belgique, en passant par le parking du Super U de Paimboeuf.
Justin Delareux a les mêmes initiales que Jackie Derrida et pratique le tir à l’arc.
Il est davantage poète que Belge.
On peut être plus ou moins Belge (cf Ollivier Moreels)
On peut ne pas être poète (cf Jackie Derrida)
Sinon ça va ? (la poèsie).Romaric Sobac
Aujourd’hui je suis allé jeter des livres pour Romaric Sobac. La dernière fois que Romaric m’avait demandé un coup de main, c’était il y a peut-être un an, je ne savais pas trop en quoi consistait le coup de main. Il s’agissait d’une action, ou plusieurs, photographié.s, à destination d’une revue. L’action consistait 1) à faire une pile de livres assez haute puis à la faire tomber à l’aide de mon pied, 2) à jeter des livres et magazines dans le renfoncement d’un bloc (bâtiment) de béton armé situé sur le port de Saint-Nazaire 3) à jeter des livres le plus haut possible au milieu d’un grand parking (terre-plein) situé au pied de la base sous-marine, pendant que Romaric prenait l’acte en photographie, depuis le toit de la base sous-marine. C.Ses actions sont pleines de sens à mes yeux, et y prendre part me semble être une évidence, une évidence, car le geste est à la fois banal et peu commun, absurde et plein de sens, et qu’il réveille en moi des préoccupations récurrentes, celles du livre, du livre comme objet, comme matériau, du livre comme projectile, comme outil, comme moyen, du livre comme aberration, surplus, résidu mémoriel, objet parmi les objets, etc. Je ne suis pas à l’initiative de s.ces actions, je ne suis là qu’en soutien, si j’ose dire, c’est donc un double détachement qui me convient tout à fait, un détachement dans l’engagement corporel et la présence que ces situations imposent. Il y a quelques jours, Romaric m’avait écrit pour me demander si je serais disponible pour jeter des livres (ou m’a demandé si j’étais disponible, tout simplement, mais j’avais compris). Il m’a demandé si j’étais plutôt basket-ball ou plutôt base-ball, j’ai répondu basket, ce sera donc base-ball. L’action sera filmée, cette fois, par une troisième personne. Ne sachant absolument pas ce que j’allais devoir faire, j’ai prévu dans mon sac un pantalon jaune fluo à bandes réfléchissantes, puis de la peinture rouge en spray, au cas où. Nous arrivons sur le lieu où l’action se déroulera, il s’agit de la cour (qui est aussi un parking) des anciens ateliers que j’occupais avec d’autres et que d’autres ont occupé avant moi. Ces ateliers sont fermés depuis quelques mois. J’avais inscrit en grand et à la peinture sur un des murs (de ce non-lieu) qui contournait l’espace (creux), une phrase, en hommage à Philippe Castellin, et en rebond au contexte : La poésie n’est toujours pas une solution. En arrivant, Romaric commence par installer un panneau publicitaire annonçant un mauvais album de David Bowie (intitulé Reality ou quelque chose comme ça) juste en face de cette phrase inscrite sur le mur. Puis quelques journaux au sol. Je comprends que la phrase sera le décorum. Rapidement, tout habillé d’un collant jaune pâle et d’un crop-top à fleur moulant et malaisant, il allume un cierge, ou un journal, qui prend feu, et se répand sur d’autres journaux, puis sur l’herbe sèche tout aussi rapidement. Je ne sais pas si la rapidité du feu prenant est souhaitée, n’étant pas contre les imprévus, je tiens ma position de jeteur de livres et choisi de ne pas aller éteindre le feu qui prend. Romaric choisi alors d’utiliser Bowie pour étouffer le feu. Ce qui fonctionne. Feu éteint, je commence à jeter à Romaric les livres qu’il essaie de recevoir à l’aide d’une batte de base-ball elle-même habillée de prospectus. L’échange dur quelques minutes, certains livres volent. Puis un livre récalcitrant sort du lot, git au sol, intitulé Poésies de Mallarmé. Hasard objectif ? Romaric redresse le livre sur le sol, 1ʳᵉ de couverture lisible, comme une stèle, puis il décide d’envoyer un sévère coup de batte dans l’ouvrage. Le livre roule littéralement sur le sol et sur plusieurs mètres, comme une roue, comme on fait la roue, puis s’arrête à l’identique, c’est-à-dire droit sur le sol, 1ʳᵉ de couverture lisible, comme une stèle. Je me suis surpris à dire quelque minutes plus tôt que le feu prenait, mais qu’en même temps, c’était l’Humanité (je parlais du journal qui gisait sur le sol). Mallarmé est retombé sur ses pattes, un coup de dé, écrivait-il, jamais n’abolira le hasard. Au fil des discussions ou fragments de, je comprends que la vidéo tournée est à destination d’une revue, où plutôt d’un événement qui aura lieu à Corte en Corse joignant la parution prochaine d’une revue. Il s’agit de la revue Docks, pour laquelle cette phrase avait été écrite une année plus tôt. Docks dont l’ami Julien Blaine est le fondateur, puis flambeau passé, Castellin prenant la suite, le relais, jusqu’à son décès il y a quelques années. Entre le moment où j’ai envoyé ma contribution hommage et ce jour, Docks s’est retrouvé en galère financière comme pas mal de revues expérimentales ces derniers temps. La parution du numéro pour lequel j’avais donc apporté contribution a été repoussée d’un an et demi au moins. Les lettres sur le mur ont légèrement passé comme le temps. Et c’est ainsi que je me retrouve, sans même le savoir, à prolonger cette hypothèse sans solution, celle d’une poésie qui ne répond à aucun problème. J’ai longtemps refusé de filmer mes interventions, de me donner en performance lors d’expositions ou en dehors, préférant la question ou le retrait, jamais tout à fait à l’aise avec l’événement. Hier, éloigné de tout public, ne faisant que répondre à une sollicitation, prenant au sérieux une tâche à priori improbable, j’ai cru entrevoir une forme de réalisation de la poésie, que des hasards objectifs sont venus soutenir, liant ainsi et peut-être malgré nous, plusieurs unités de temps et de lieux. Cher Romaric, cet accumulé de phrases écrit à la manière d’un Arlequin vaut, avec ses fautes, pour présence future : je continuerais volontiers à balancer des livres à ton appel, je pense même qu’il faudrait multiplier l’ouverture d’espaces-temps comme celui-ci.
Justin Delareux