Bunker Falaise
Le film sans fin
Bunker Falaise
avec Pascal David et Eli Mazzeo (performance)
« Die einsamen Toten
Langmütig lauschen sie auf Schritte
Zu ihren Füssen »*
Richard Pietras : « Coronaden »
Le crépuscule a ses flambées, du haut de sa tour notre ermite contemple les orages sur l’estuaire, tempête d’étoiles dans l’amplitude du ciel, il est de longue date l’habitant de la Villa Bambino : drôle de nom pour un bunker de grande taille.
Son nom de famille à lui est David, sa voix s’élève dans l’obscur de l’atelier en désordre, en marge de tout, en dépassement du geste ordinaire, habité de mémoires tant visibles qu’invisibles, tant audibles qu’inaudibles.
l’interview : http://www.omoreels.fr/sons/philosophie-bunker-falaise.mp3
Dans ce sombre royaume les chats sont bien chez eux, ils rêvent et cohabitent en souplesse ; à l’aise dans leurs déplacements parmi les feuilles sèches, entre ombre et lumière dans cette silencieuse musique.
Sur le sac de frappe en évidence il a écrit simplement : « le mal » : on ne peut guère en faire davantage pour l’énonciation et à la dénonciation du mal. « Boxing shadows », avertissements, actes solitaires de résistance d’une sensibilité à fleur de peau.
Il vit donc seul, dans sa mission autoproclamée de gardien du lieu, après plusieurs expériences traumatisantes. D’où ce besoin impérieux de veiller, de reprendre jour et nuit le fil de son message, de rechercher, avec quelques difficultés, le mot juste qui bourdonne à l’intérieur.
* (Les morts solitaires
Tendent patiemment l’oreille
Vers les pas à leurs pieds)
Eli reconnaît le monde
Comme dans le tableau d’un primitif flamand, Eli tente de saisir le mystère, « ce qui se montre, pour autant qu’il se montre à partir de lui-même ». Le sombre et le feutrée dominent comme dans L’œuvre au noir ou Les Mémoires d’Hadrien de Yourcenar.
Pensons également à la très mystérieuse Marie de France, active à la cour anglo-normande d’Henri II Plantagenêt durant ce qu’on appelle la Renaissance du xiie siècle. Elle écrivait des Lais et des Fables visant surtout le raffinement poétique qu’elle peut atteindre en réécrivant les fables de Flavius Avianus entre autres, en aimant particulièrement les métaphores complexes et les particularités lexicales parmi les plus subtiles.
Eli danse, elle descend au cœur de l’infortune et dispose des bouquets de talc avec des gestes attentionnés et doux, elle creuse aussi bien dans la figure d’autrui sa propre folie. Elle s’enferme dans "l’alcôve mentale" de l’inconsolée, épouse sa condition de recluse et en même temps elle se bat pour les forces calcaires de la vie. Le propos d’Eli serait d’aller vers la pureté du vrai, d’aller d’une virginité de l’être à une autre virginité qui l’attire, celle du vrai.
Elle est dedans, elle ne gouverne pas d’en haut cette quête, celle de la lumière, mais s’y projette, s’y disperse se fond en elle qui ne serait rien sans ce don tout entier.
Elle trace un cercle parmi les feuilles séchées tandis que l’ermite du lieu monologue et, par de nombreux détours, parle finalement de la pure « élévation ».
Souterrainement, c’est toujours l’obscur, le dégradé, le feu pâle, la part inavouée, primitive, de l’humus, qui donne aux mots leur terrible lest et nous tire de façon irrémédiable vers ces feuilles sèches sur le sol de ciment.
Pudique figure, sublimée en « dame à la glycine », elle entame une danse qui prend le risque du recommencement, qui s’étonne, s’enchevêtre et subvertit notre mauvais savoir paisible. Lent travail de nettoyage, de dépouillement et de mise à jour qui permet de retrouver le sens des coordinations et des césures de la langue et de la vie.
La chienne, « Princesse », prend la pose dans la vaste chambre des plaisirs et des tortures : à coup sûr, elle a vu « Stalker » de Tarkovski.