Le film sans fin

De la métamorphose des poupées

De la métamorphose des poupées

Rose Moreau - Zoë Marin - Paul Leo Figerou : performance
Rose Moreau - Paul Leo Figerou : wall draw
Zoë Marin : objets

  • L’invisible ailleurs

Zoë coud, assise sous le paulownia de Chine, à la pointe de l’estuaire, de petites figurines en tissus colorés, ses cheveux tombant sur son visage, à l’ombre. Un clown vert la regarde mais elle ne le sait pas. Sans doute sourit-il, mais avec un nez vert plutôt que rouge cela ne se voit pas.

Le ragondin a les dents orange et dures ; celui-ci est mort depuis longtemps, desséché et pointé en martyr sur un piquet noir. Rose le contemple puis le déchiquette sans pitié avec un bâton. C’est au sixième siècle que les chrétiens voulurent que le ragondin ne soit pas accepté au royaume des cieux.

Les poupées s’improvisent sous les doigts de Zoë, elles ont parfois deux têtes ou trois jambes, se partagent et se mélangent quelque peu pour faire un tout, une communauté sans modèle.


Pendant que Rose s’acharne sur le cadavre sec du ragondin ; non loin de là une femme, tenant un enfant dans ses bras lui embrasse l’intérieur du cou. Dévoiler les contrastes possibles dans les plis d’une mise en abyme des êtres et des œuvres.

Le temps passe sous l’arbre de Zoë, parfois son visage apparaît sous la chevelure. Un petit bout de paradis à travers les feuilles. Des milliers de bébés crabes se promènent dans la boue, et font des bulles comme sortis du cadre d’un film de Preminger.

Tamiser de petits coquillages blancs avec soin, sous une lumière crue, dans une coupe de cuivre ; moments secrets de Rose aux pieds nus. Une danse à deux autour des piquets noirs, gibet du ragondin. Le clown vert n’est plus là, effacé dans ses rêves.

Venue de l’invisible ailleurs, la marée monte vite, elle se déverse sur la vasière plate, régulière, implacable, sa musique comme soie sauvage glissant sur les fantômes, effleurant la lumière grise du sol mouvant.

Pourquoi pas un jus de tomate à l’état de buée, pour l’absente de la terrasse ; la fiction est une pensée exigeante qui se poursuit dans la vraie vie.


Films d’animation de Rose Moreau

  • La Rose de Choubrah
    L’égyptienne d’Almodovar

Dans cette grotte on retrouve Rose en rouge comme la rose de Choubrah de Gérard de Nerval ; cette rose représente l’âme de l’Egypte par le biais d’une relique rapportée par Nerval de son voyage réel et spirituel en Égypte. Cette rose peut être interprétée comme le signe d’une expérience de transfiguration poétique et surnaturaliste.

Rose est donc ici une gypsy ou gipsy, en anglais « gitan ». Ce terme se réfère à la croyance selon laquelle les Roms seraient originellement venus d’Égypte, Aigyptos : Αίγυπτοs en grec. Par exemple, Esméralda, dans « Notre-Dame de Paris » de Victor Hugo, est à ce titre surnommée « l’Égyptienne ».

Égyptienne et prêtresse vaudou tout à la fois, Rose est en rouge principalement en référence assumée à Pedro Almodovar. Vérifions à la source, on constate : « Adorant le rouge, il considère qu’un canapé carmin en dit beaucoup plus qu’un canapé violet »... Rose est à raison admirative du cinéaste et s’habille couramment de rouge, ce qui lui va bien.

Pour revenir dans la grotte, elle manipule une figurine faite avec du plastique, des chiffons et bouts de ficelles, pour de lentes incantations et une ultime convocation des esprits. Accueillant parfois certains éblouissements imprévus et subissant de plein gré de subtiles métamorphoses.

Le visage maquillé pour le voyage magique, elle peint les parois de la grotte pour déplacer les frontières du sensible, vivre un peu plus, atteindre quelque chose de plus grand sans pouvoir le nommer comme une pensée qui se situerait hors de portée.

Et cela, pour atteindre ce mystère qui lui échappe, le cœur vibrant d’émotion. De cette façon les chamans retrouvent des noms dans les fissures de leur grotte.

Dans ces pierres, parmi ces pierres-ci dans la lumière noire, cette réalité est cachée dont nul ne s’inquiète ; une légère trouée indique la figure absente uniquement à celle qui s’est préparée et qui sait la voir.

Jean-Louis Vincendeau