Les aubes rosées

Le film sans fin

Scène : Les aubes rosées / avec Gaëlle Cressent
Adèle Chupin - Hélène David - Reine - Jean-Louis Vincendeau - Le promeneur à la chaise. Voix : Jordane Saunal

*Aux sentiers qui bifurquent, des panneaux mystérieux, on retrouve Adèle sur une petite route déserte, on la suit et devant une barrière elle s’arrête ; elle demande quelque chose à deux fermières une jeune et une vieille ;

Tout comme sa sœur Douce, Adèle est timide et marmonne quelque chose entre ses dents ; les paysannes plutôt moqueuses lui demandent d’articuler ; elle dit :

« Je cherche le chemin de Krasnoïarsk, je suis perdue »
« Connaît pas ce nom par ici » répondent les fermières
« alors une indication même pour retourner chez moi »
« Allez y voir par la bas y’zont mis des panneaux bizarres »

Elle se rend dans la direction indiquée et la caméra la suit ; elle trouve le lieu des panneaux où une « employée » en tenue (ou en bleu) de travail est en train de fixer le dernier panneau.

Non loin de là un monsieur fait apparemment une sieste à l’ombre d’un arbre, on l’a déjà vu chez le bouquiniste, il est maintenant adossé à un tronc d’arbre et justement ce tronc d’arbre dit quelque chose :

« Deux amants sont devenus des arbres
Pour avoir oublié le temps

Leurs pieds ont poussé dans la terre
Leurs bras sont devenus des branches »

Il s’agit d’un ancien poème de Marcel Béalu (un deuxième Marcel dans le film), Monsieur Caterpillar a justement dans les mains le livre de Marcel Béalu

N B : Krasnoïarsk est un double clin d’œil : à la langue russe déjà croisée et à Mikhaïl Tarkovski, neveu du cinéaste, référence commune aux deux réalisateurs

« Les aubes rosées » Installation de Gaëlle Créssent

Tout d’abord trois panneaux circulaires de couleur bleue avec des reflets roses : panneaux délocalisés, détournés pour l’occasion, pour la venue d’une vérité à saisir.

Dire la vacuité de l’apparaître : dispositif qui s’avance dans le sens et le maintien dans une saisie immédiate de l’espace.

Cercle, circon-spection ; Adèle cherche son chemin, son lieu : ce qu’elle voit dans le panneau c’est le reflet de son visage. Cette façon de voir est un « agôn », une bataille entre le reflet et l’original.

Ces panneaux projettent du possible, le pouvoir être d’un sens à venir, une tenue active, une énigme circulaire.

Ne pas sous estimer l’importance du reflet, du visage engagé dans le reflet et sa dimension circonspecte, autrement dit la dimension originaire de l’être du « Dasein ».

Tenir le mystère, le sens à portée là retenu, comme sous la main dans ce cercle à l’intérieur du monde. Présentification, belle adéquation qui englobe toute possibilité.

Le visage de Gaëlle existe en vue de lui-même dans le panneau qu’elle a créé en tant que jeté devant, en vue de lui même, il existe un mot pour cela, « ek-stase ».

Dans ce cercle reflétant rester attentif à une possibilité : le reflet n’est-il pas plus vrai que l’original ? Quelle est la nature de cette vérité renvoyée ? Quelle est cette éclaircie qui se présente dans le présent comme saisie ? Sinon ce qui fonde la transcendance du monde ?

Autant de propositions ontologiques marquant la connexion du « pouvoir-être », de « l’être-là-au-monde » et du monde.

Ici l’horizon « extérieur » garde toute sa place, les trois aubes rosées s’inscrivent pour accompagner l’ouverture de l’horizon : trois panneaux, trois aubes, trois horizons ; ek-stases articulées entre elles et qui s’accordent à quelque chose comme un monde ouvert.

Ces trois panneaux, pas si muets, proposent un « vers quoi » indéfini et fortement présentifié, ouverts autant qu’ils puissent faire encontre.

Citons enfin celui à partir duquel ces phrases arrivent : « Le monde est pour ainsi dire plus loin dehors qu’un objet ne peut jamais l’être » Maurice Merleau-Ponty