Les films de Jean-Louis

Les vitraux de la réserve

Les vitraux de la réserve
Ou l’enfant au gilet rouge

Hapiste : Lucie Berthomier
Plasticien : Louis Payen
Remerciements à l’École des Beaux-Arts Nantes/Saint-Nazaire
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Dès l’entrée nous sommes saisis par une ambiance « gothique » produite par la présence des vitraux. Ensuite les tableaux classés, déclassés, loin de tout, à l’abri des regards. Sur un pupitre le buste en terre cuite d’un personnage que l’on associe au château de Porcé, sous la table un autre buste bizarre portant une clé à molettes.

Une grande peinture représentant une jeune femme en robe noire un peu triste, le premier prénom qui vient serait celui de Sabrina, peut être italienne, elle porte déjà des ombres à l’intérieur. Il lui manque des fleurs fraîches, le grand air du littoral.

Ses mains sont belles et fines, mains de musicienne sans doute, et si tout était musique diffusée dans ce lieu, caressant l’âme de ces tableaux inexplorés, endormis ?

La légende veut que Sabrina, fille unique, fit jadis une traversée vers l’Amérique sur un paquebot nommé « L’Impératrice de Chine » et fut accompagnée d’un certain Paul A. passé par le Currer Bell College. Toutes ces bribes et rumeurs ne détruisent pas l’énigme et le mystère qui continuent de l’entourer aujourd’hui.

Cette réserve comme un grenier, pourtant bien plus lumineux qu’un simple grenier, une chambre d’écho. Pas de fantôme ici, pas de nostalgie, la lumière est trop belle. Le soleil dehors est filtré, coloré en traversant doucement les vitraux en réfractions à peine visibles.

Un jour une robe de mariée sortie de quelque penderie magique et innocente apparaît dans ce monde parallèle ; le même jour une joueuse de harpe vient improviser dans la lumière de ses rêves.

Le pur au-delà est contenu entre les murs blancs de la réserve, en un certain lieu, devenu par une intervention minimale (de l’artiste, des artistes, de nous) une scène de fiction, un théâtre métaphysique.

Rilke, parlant de Rodin, employait le mot « endroit », « Stelle » : « Rodin saisissait la vie aux endroits les plus petits », ou encore : « A tel endroit la lumière et la sculpture semblaient s’accueillir mutuellement, à tel autre se saluer timidement, ailleurs encore se croiser en s’ignorant ; il y avait des endroits sans fin mais aucun où il ne se passât rien. » 

Louis l’enfant au gilet rouge traverse le fleuve sur un petit navire, « le Va pas trop vite ». Débarqué ici il pose curieusement sur la table une balle de tennis rouge (tiens pourquoi rouge ?) Puis il installe et désinstalle la robe de mariée (de sa grand-mère) dans le grenier pendant qu’une jeune harpiste répète avec grâce ses pièces de concert.

Cette jeune Vassilia, beau prénom pour une harpiste, est une descendante de Sabrina, beaucoup plus gaie que son ancêtre, elle vit dans une cabane tressée dans un jardin tranquille non loin de la mer qui n’a pas de nom.

Passée par le Rhin un dimanche de neige, polyglotte de l’ineffable, Vassilia joue de la harpe comme une déesse du bord de mer, une nymphe des jardins en ville, elle se tient près de la fenêtre ouverte constellée d’or et de lumière à la recherche par le son de ce milieu inouï, le « die unerhörte Mitte » de Rainer Maria Rilke.

Une anacrouse, un morceau de rêve entre les doigts, beau silence initial, peut-être une miniature pour Lewis Carroll ? Cette fois plutôt la pastorale de Marcel Grandjany.

« Je me suis réveillé, un morceau de rêve entre les mains,
et n’ai su que faire de lui.
J’ai cherché alors un morceau de veille,
pour habiller le morceau de rêve,
mais il n’était plus là.
J’ai maintenant un morceau de veille entre les mains
et ne sais que faire de lui.

A moins de trouver d’autres mains
qui puissent entrer avec lui dans le rêve. »

Roberto Juarroz : " Sexta poesia vertical"