LIFE

Le film sans fin

Sur une proposition du festival de cinéma Zones Portuaires dont la thématique 2024 fût la ville de Beyrouth et le skateboard, plus largement les sports à roulettes, Le film sans fin a travaillé avec quelques étudiant .es de l’École des Beaux-Arts de Saint-Nazaire dans le LIFE et autour de la base sous-marine. En partant de l’idée que ce lieu historique de la ville est une gigantesque boite vide et qu’il faut en percevoir l’architecture, son intérieur, son toit et ses abords extérieurs furent un terrain de jeu et d’exploration artistique à roulettes pour ces trois personnages en action. Les performances filmées ont été projeté directement sur les murs intérieurs et accessoires architecturaux du Lieu International des Formes Émergentes pendant la durée du festival, du 7 au 12 mai.

Autour du LIFE (chapt.1
Performance et conception objet : Lila Vaillant-Daniel
Musique et interprétation : Mona Colson

Lucien au LIFE (chapt.2)
Performance : Lucien Serclerat

Prises de vues et sons : Ollivier Moreels
Textes : Jean-Louis Vincendeau

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Écrit avec du lait

Sur le sol des traces blanches forment un dessin éphémère, un tout début d’écriture, une pure origine. Les rollers de Lila sont équipés de réservoirs et le carburant semble être du lait pour une mobilité toute nouvelle. Une idée simple et ingénieuse, le carburant ici ne sert pas à avancer plus vite et tourne le dos à l’envahissante frénésie de vitesse.

Il se destine à tout autre chose : Jean-Jacques Rousseau est assuré que l’essence de l’art se définit en une mimésis, ici la tentative est modeste et sans modèle apparent, surtout si on relie ce dessin au son du violoncelle.

Le terrain de jeu autour de la base sous-marine va de soi, un lieu qui se tient, s’invente et « peut venir » si on le regarde avec des rollers affleurants et un archet enchanté. Le lieu, à son tour interagit et interfère.

L’origine d’une écriture spontanée, improvisée, gratuite et éphémère, une trace destinée à disparaître lentement. Le violoncelle sur le toit joué de dos par un ample gilet de laine gris pour un petit chien aux pattes avant blanches trempées dans du lait ? Mona improvise devant l’Estuaire comme en apesanteur.

Ces modestes tentatives déclinent un mode d’apparaître selon une résonance interne, quelque chose tinte entre le mouvement dans l’espace et sur le sol avec le son de l’instrument, un gain réciproque dans l’échange spontané, un moment de poésie.

Lila et Mona échangent à distance et mêlent deux ensembles pour n’en faire qu’un seul et d’un seul tenant, une même étoffe progressivement créée, dans ce contexte le mouvement, la trace et la musique viennent s’inscrire dans la carte, le territoire inconnu qui se précise, pousse et provoque la vérité du moment.

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Lucien sur ses rollers roses dans le Life vide

Lucien dessine le sol en robe blanche sucrée au cou, foulard rouge léger et circonvolutions d’elfe en carte du tendre vers la porte deux fois noire.

Le Life, lieu magique dans sa cuirasse de guerre et de béton vieilli par des années de pluie salée, a pu accueillir jadis des manifestations d’art contemporain majeures. Aujourd’hui il sommeille dans un élégant abandon. La fraîcheur d’une jeune glissade en rollers le réveille un peu, ce qui est donné à voir, cette légère intrusion, se retrouve là afin de réunir des mondes séparés.

L’enjeu de cette libre déambulation serait de définir la place où l’on se tient et la possibilité d’y articuler sa propre énigme dans la solitude et la
lucidité de ses plus fines nuances, dans l’émotion qui improvise « l’éthos », le mode d’être à travers ses multiples contradictions.

Gestes mineurs et petites imperfections, Degas en mouvement sur le sol brillant de ce palais de lumière. Un fil ténu et « tenu » avec élégance ce qu’on peut appeler après Deleuze « l’image de la pensée » comme intrusion d’un signe, objet d’une rencontre qui force la pensée à créer. (Cf « Proust et les signes »).

Le son des rollers glissants étouffés, l’instant rétabli, mouvements des bras jusqu’au bout des doigts d’égale beauté. Mouvement qui s’élance dans le chemin qu’il créé. Un palais vide, en silence pour de rêveuses pensées, apparitions obliques imprévues, les voies du paradis à l’heure de lumière pure.

Dans le creux du maintenant, blanc rouge et noir, dans la source vive de la spontanéité sans les mots, dire la fragilité apparente d’une Ménine égarée, le vif d’un affect tout juste aperçu.
Escapades perchées en belle lumière à la lisière de l’espace, un conte urbain tranquille, sortilège, fusée dans l’éveil et d’improbables motifs, une écriture dans l’espace, pleine d’espoir. « Il n’y a d’être que du singulier, qui se dit de l’individuel comme chaque fois unique ». François Wahl : « Le Perçu »

Un espace traversé c’est un espace qui reçoit une singularité par le biais d’un être qui n’était pas là avant et qui ne sera plus là après. Lorsqu’on écrit la formule : espace « traversées », on ne met davantage l’accent sur l’espace que sur le féminin pluriel de « traversées » c’est-à-dire sur plusieurs singularités actives sur le même espace depuis le moment de leur apparition jusqu’à celui de leur disparition.

Lucien, silhouette périmètre en mouvements fluides et qui contrôle sa zone d’ombre du proche et du lointain, à l’intérieur. Improvisation en filigrane d’un fantôme, depuis le fond noir, au ralenti. Après cela le monde va pencher un peu plus.

Atteindre quelque chose de plus grand sans pouvoir la nommer comme une pensée hors de portée, ce quelque chose est traversé là dans cet édifice magnifique à percer de présences. Lucien, croise des fantômes dans l’innocence, l’aura et l’énergie, ce qui ne l’empêche pas de slalomer de façon des plus naturelle au bord d’une fée blessée, d’un espace décalé.