Le film sans fin

Didda et les balises

Performance et poésies : Didda Jónsdóttir
Réalisation (Le film sans fin) : Ollivier Moreels et Jean-Louis Vincendeau

Collaboration et traduction : Edith Doove / Bureau Doove - creative consultancy - Laufey Helgadottir - Avec le soutien de Cales Obscures, remerciements Jean-Jacques Rue et Sandrine Floch

Les bouées maritimes rouillées déposées là comme dans un cimetière ont connues un destin plus enviable. Indispensables aux pilotes pour mener les navires à bon port elles ont sauvées bien des vies sans en avoir l’air, et là, après été peintes et repeintes elles sont fanées, rouillées et considérées comme en fin de vie, mises au rebus sur ce versant peu fréquenté du bassin.

1.
Við vorum ekki
augasteinar
foreldra okkar
ekki fremstar
í goggunarröð
gæðabarna,
ekki fallegar
heldur frakkar
og gengum með
sprengjur á öxlunum
og áttum að finna
framtíðina.

Nous n’étions pas les prunelles des yeux de nos parents
Pas les premières dans l’ordre des enfants modèles
Pas belles mais effrontées
Marchant avec des bombes sur nos épaules
Supposées trouver notre futur.

Elles en vu des navires tout au long de ces années de bons et loyaux services, elles sont maintenant à l’écart des courants et des tempêtes et constituent ainsi alignées sur le flanc une galerie de portraits attachants surtout pour une femme poète comme Didda Jonsdottir en promenade repérage sur le port.

Ces bouées ou balises rouillées, de coquilles vides elles deviennent le support de poèmes écrits en islandais par Didda avec des craies et donc éphémères. Actrice poétesse à la fois tendre et batailleuse, acérée et presque farouche, elle impose une langue éruptive ; des mots qui jaillissent comme la lave de son île, irrigués par une force de vie, une urgence.

2.
Ísland
þar sem konurnar
fróa sér
með skrúfgangi ljóssaperanna (ljósapera)
til að fá spennu í lífið.

Islande
où les femmes
se masturbent
avec le culot des ampoules tungstène
pour avoir de la tension
dans leur vie.

Promenade parmi les bouées rouillées de notre passagère à la fois perplexe et résolue sur le sort de la beauté offensante et offensive. Il est ici possible de reprendre à son sujet la phrase de Paul Valéry : « je ressens chaque parole dans toute sa force, pour l’avoir indéfiniment attendue ».


3.
Móðurlandið

Undir himninum
liggur steinrunnin fjallkona
smáríkis
með stóra borinn
hans föður okkar
á kafi í sér.

Patrie

Sous le ciel
s’étend La Dame de la Montagne
d’un petit pays
avec la grosse perceuse
de notre père
au fond d’elle.

4.
Væri gatan úr tré
væru laufblöðin steinar
væri þokan ilmandi mold
lægi tungan á þér við bryggju
væri hafið mitt hold

Si la route était faite de bois
si les feuilles étaient des roches
si le brouillard sentait la terre
ta langue serait amarrée au quai
l’océan serait ma chair

On peut repartir sur « effrontées », les os traversés de froid, le plancher qui grince, plus tard la jeune femme batailleuse jusque dans sa langue, là pour tenir la craie, ici pour dégager la neige au milieu du jour dans la matière du vivant. La muette qui vient butter ses mots en souvenir d’un corbeau transi, la goutte au bec. Paysage trouble en attente, le mot « jaillir ».

En 1864 trois explorateurs ont trouvé, selon Jules Verne, un voisin nantais, l’entrée du centre de la terre ; le 20 juin 2019, veille de l’été, soit 155 ans plus tard trois autres explorateurs audacieux reprennent le même chemin. * Suite à la découverte d’un manuscrit runique ancien il s’agit de se rendre à nouveau au pied du fameux volcan Snæfellsjökull, « glacier du mont des neiges » et de là retrouver le passage…

* Les trois premiers furent Otto Lidenbrock, son neveu Axel et Hans Bjelke, les trois suivants sont Edith Doove, Ollivier Moreels et Jean-Louis Vincendeau